En un instant, j'étais brusquement aspiré dans cette atmosphère si particulière et si familière. Un bouquet de sapin, café torréfié, houx frais et pomme verte, saupoudré de cannelle, enivrant m'accueillait jusqu'au comptoir lisse et brillant de l'établissement. L'odeur de la pluie presque palpable, un tourbillon d'épices du monde et de pâtisseries locales, les parfums prononcés se posant sur ma langue comme de véritables morceaux de sucre. Un sourire idiot indétrônable sur mon visage enfin réchauffé. Le bruit de la vaisselle propre prête à servir se cachait derrière le bruissement des conversations qui remplissaient l'espace. Le rire des jeunes venant prendre un petit déjeuner tardif, la douce musique de fond apaisant l'esprit, les ordres secs mais partiellement étouffés des serveurs peinant à suivre le rythme des nombreuses commandes, tout se superposait en un agréable bruit de fond.
J'avançais instinctivement entre les tables cirées, laissant mes doigts doucement effleurer les sièges de cuir brun. Mes pieds me guidèrent devant une table libre reliée aux autres par la banquette commune contre le mur. Sans demander l'avis des hôtes, je m'y installais.
Tout autour de moi était légèrement flou, peut être la buée sur mes lunettes noires. Dehors l'hiver n'était pas encore trop prononcé mais les premières neiges ne traideraient sûrement pas à tomber. Les matins étaient calmes et frais mais tout paraissait différent dans ce café aux allures de salon douillet à feu de cheminée. L'un des barista vint prendre ma commande pour repartir aussi vite qu'il était apparu. Il fut ce pendant trop pressé à en jugé par le bruit de collision qui suivit son départ. Un juron craché avant même que le verre ne se brise au sol, le cri choqué d'une femme victime du projectile brûlant, les plates excuses du second serveur dans le silence brusque qu'il avait provoqué à travers la pièce. Même si cela semblait prendre une éternité, le brouhaha reprit immédiatement précédé par les grognements aggressifs d'un petit chiot apeuré.
Mon coeur battait rapidement, ne retrouvant pas son rythme normal. Mon souffle s'accélérait progressivement et mes mains tremblaient de plus en plus. Je paniquais sans le moindre doute. Mais un simple accident de plateau n'était pas sensé me faire réagir à ce point. Ce n'était pas la première fois que j'y assistais. Pourtant j'avais beau me contenir il m'étais impossible de me calmer.
Quelque chose approchait. Ou quelqu'un.
Mes yeux remontèrent lentement le long de l'allée principale près du bar jusqu'au carillon de la porte d'entrée qui s'agita. Une immense vague de lumière venait d'entrer dans le café. Une vague dorée dans laquelle baignait une femme brune.
Plus elle avançait plus la vague se rapprochait de moi. Elle était grande, mince.... unique pour sûr.
Et des yeux....
Je me réveillais en sursaut encore tremblant et blême. Le souffle erratique et des gouttes de sueur parlant à mes tempes. Mes draps collaient à mon corps m'étouffant et m'oppressant. Je me débattais férocement pour en sortir et tombais précipitamment face contre terre. Toujours sous l'écho de la panique je m'éloignais frénétiquementle plus loin possible de mon lit, percutant de mon épaule ma table de chevet.
Une fois hors de portée, recroquevillé sur moi même contre le mur froid, je me forçais à reprendre une respiration normale. C'était la douzième fois ce mois-ci. Douze fois le même rêve perturbant. Et je me réveillais toujours au même endroit. Impossible de me souvenir du visage de cette femme, ni d'où venait cet état de panique fulgurant. Rien n'avait de sens mis à part que les douze fois le rêve avait été parfaitement identique.
Une fois définitivement calmé, je me redressais en appuis contre le mur, sortais de ma chambre pour aller me passer de l'eau sur le visage dans la salle de bain. J'en profitais pour prendre une douche rapide et aller me chercher un petit truc dans la cuisine, calmer mon ventre bruyant.
J'avais du mal à réfléchir, tout était confus dans ma tête, tout s'emmêlait et j'en perdais le fil. Les autres fois pourtant, le rêve finissait par s'estomper plus où moins rapidement, or cette fois il persistait à vouloir s'incruster dans mes pensées.
Il fallait que je me change les idées. Un petit tour dans le salon pour attraper mon manteau de laine, mon écharpe et réveiller Cyabar.
Je le laissais lécher mes joues en guise de "bonjour" pendant que je tâtonnais pour lui accrocher son harnais. Par réflexe j'enfilais mes lunettes noires et refermais la porte derrière nous. Je laissais mon ami me conduire jusque dans la rue. Je n'avais pas de but précis, pas d'itinéraire, juste sortir prendre l'air frais de décembre. Je fourrais mes mains dans mes poches et commençais à avancer laissant mes pieds décider du chemin.
Ils me menèrent à travers la ville qui sortait doucement de sa léthargie nocturne. Les oiseaux de Central Park piaillant dans les arbres, le vent gelé fauchant les chevilles et le gazon qui restait. Bientôt les pelouses ne seront plus accessibles même tôt le matin, le temps que la terre se régénère. Longeant l'East River, je croisais quelques courageux sportifs profitant du calme pour s'entraîner avant de commencer la journée. Les premiers commerçants relevaient leurs rideaux de fer dans un fracas métallique, les boulangers affairés à faire sortir de leurs boutiques de merveilleuses odeurs, et déjà quelques gens pressés traînant leur valise derrière eux priant presque à haute voix pour ne pas rater leur vol. Et sans savoir réellement comment, la porte glissa sous mes doigts jusqu'à la poignée me laissant entrer.
Un parfum familier. Une atmosphère chatoyante. Une place toute réservée où je me laissais tomber.
J'avais un mauvais pressentiment comme si je ne devais pas être ici mais que je n'avais pas vraiment le choix.
Un garçon de café s'approcha ses pas vibrant sur le sol.
Un Moka Blanc à la cannelle... merci.