Revenir à New York poussait Tessa à se sociabiliser un peu plus. Il est clair qu’à Alicante, elle n’en avait pas vraiment eu l’utilité. Ses cours lui prenant la plupart de son temps, elle s’était contentée ces dernières années, de simplement sympathiser avec ses collègues, et quelques-uns de ses élèves les plus sérieux. De toute manière, certains Chasseurs d’Ombres avaient encore du mal à l’accepter entièrement. Même si cela faisait déjà quelques décennies qu’elle évoluait à leurs côtés, le fait qu’elle soit en partie une Créature Obscure était loin de plaire à tout le monde. Il ne fallait pas s’étonner que des personnes comme Valentin réussissent à aller au bout de leurs convictions, quand des différences de ce genre étaient entretenues par bon nombres de personnes, même celles qui se disent contre les valeurs du Cercle. Pourtant, la jolie brune ne bronchait jamais à ce sujet, surtout pour prouver qu’elle n’y accordait pas tellement d’importance, et aussi parce qu’à ses yeux, l’ignorance restait la meilleure des réponses. Et puis, maintenant, rares étaient les personnes qui venaient directement lui dire qu’elle n’avait rien à faire à Alicante, et qui n’acceptaient pas qu’elle enseigne à leurs enfants. Elle pouvait voir le monde et les pensées évoluer, tout doucement, certes, mais avec sureté. Du moins, si Valentin ne réussissait pas à prendre le pouvoir. Chose qui n’était pas encore le cas pour l’instant, et qu’il ne le serait jamais. Tessa espérait qu’il y avait encore assez de gens biens dans ce monde pour empêcher une telle catastrophe d’arriver.

Et pour l’instant, tout était assez calme. C’était certainement pour cette raison qu’une fête était donnée au Pandémonium. Tessa soupçonnait Magnus de l’avoir organisée en apprenant son arrivée en ville, même s’il ne l’avait pas clairement fait en son honneur, sur les invitations. Le sorcier savait que la jeune femme n’aimait pas se trouver au centre de l’attention, certainement l’avait-elle beaucoup trop été par le passé. Mais bon, elle comptait quand même bien se rendre à cette petite fête, ne serait-ce que par politesse, et pour l’occasion, elle avait même ressorti l’une de ses robes d’époque. Celle de sa jeunesse, qu’elle trouvait nettement plus élégante que les robes qu’elle trouvait maintenant. En plus d’avoir du mal à s’adapter à la technologie, Tessa avait aussi du mal à s’adapter à cette mode qui consistait à en montrer toujours plus. Elle savait que la raison était qu’elle n’avait pas du tout grandie à la même époque, et qu’elle avait été élevée dans un climat de pudeur intense. D’ailleurs, elle ne critiquait jamais les femmes qui aimaient se dévoiler, elle les trouvait même particulièrement courageuses, et certaines d’entre elles étaient même tout à fait élégantes. C’était juste qu’elle ne voulait pas suivre le même chemin.

Ayant choisie de se rendre au Pandémonium à pieds au lieu d’utiliser un portail, la sorcière était arrivée un peu en marge des autres invités. La salle était déjà bondée de mondes, de personnes inconnus, d’un premier abord, même si certains visages lui étaient familiers. Mais pas assez pour qu’elle tente ne serait-ce qu’un salut. Son premier instinct avait été de se diriger vers le bar pour se commander un verre. Quelque chose de pas très fort, cependant. Elle se souvenait encore de la première fois où Will lui avait fait boire de whisky, et elle n’en gardait pas un très bon souvenir. Ce n’est qu’une fois son verre de Mojito à la main qu’elle remarqua un visage familier, qu’elle n’avait pas vue depuis des années, des décennies même, en fait, et qui, mine de rien, lui avait extrêmement manqué. « Eoin, quelle surprise ! » Un sourire sur les lèvres, Tessa s’approcha de son vieil ami pour qu’ils puissent échanger une étreinte. « Tu es à New York, finalement ? Te serais-tu lassé de l’Europe ? » Même si aux yeux de la brune ce devait être quelque chose d’assez difficile, elle savait que ce n’était pas non plus impossible. Après tout, elle avait bien fini elle-même par ne plus vouloir se rendre à New York pendant de nombreuses années. Et ce n’était pas seulement parce qu’elle avait trouvé sa place à Londres, à la base, mais aussi parce qu’elle n’y avait pas forcément des bons souvenirs. Maintenant, elle était de retour, surtout parce qu’on avait besoin d’elle ici, et que ce n’était pas en restant à Idris qu’elle pourrait faire grand-chose pour arranger la crise dont le Monde Obscure était victime. Est-ce que sa présence allait changer quelque chose ou non, ça, seul l’avenir le lui dirait.

La douleur causée par la perte d’un être cher, Tessa l’avait connue à de nombreuses reprises. Chaque génération de Chasseurs d’Ombres était pour elle de nouvelles personnes à qui elle allait s’attacher, et qu’elle allait finir par voir mourir, alors que la jeunesse se laissait toujours voir sur ses traits. Une douleur qu’elle ne pouvait cependant pas éviter, même si elle le voulait. De toute manière, sa plus grande perte avait eu lieu il y a près d’un siècle maintenant. Son mari resterait certainement la personne qui lui manquerait le plus. Et même avec le temps qui passait, ses sentiments pour lui n’avaient pas faiblis. Elle l’aimait toujours autant, après toutes ces années, après avoir vu ses enfants faire leur vie, et mourir à leur tour, ainsi que les enfants de ses enfants, et cela, jusqu’à la dernière génération des Herondale. Du moins pensait-elle que sa famille et son héritage n’était plus à présent. Elle ne se doutait pas encore que l’esprit de Valentin soit aussi vil pour l’avoir privé de l’un des siens pendant près de vingt ans. Autant dire que l’avenir lui réservait encore de sacré surprise.

Mais pour l’instant, la jolie brune redécouvrait petit à petit la ville de New York. Elle qui n’y était pas retournée depuis son adolescence, il était clair que l’endroit avait bien changé. En fait, elle ne reconnaissait pratiquement plus rien, avec toute la technologie des Terrestres qui était visible partout dans les rues, et pour une fois, elle ne trouvait pas cela particulièrement dérangeant. Les souvenirs qu’elle gardait de sa vie ici n’étaient pas forcément les meilleurs. La mort de ses parents, surtout, restait toujours quelque chose de douloureux qu’elle préférait oublier. Et pourtant, ça ne l’avait pas empêchée de retourner vivre dans cette vieille maison qu’elle s’était entêtée à garder et à remettre en état pendant des années. « Et toi, toujours aussi charmeur ! » Un sourire sur les lèvres, c’était avec plaisir que Tessa avait rendu son étreinte à son vieil ami. Son entourage ne restait que très restreint, mais Eoin faisait partie des personnes en qui la sorcière avait confiance. Certainement parce qu’il avait vécu quelque chose de semblable à elle. Tous deux avaient perdu un être cher au cours de leur vie, et partager cette douleur, c’était quelque chose qui pouvait rapprocher. Même si la brune ne se voyait clairement pas refaire sa vie avec quelqu’un d’autre, même après toutes ces années. Les Herondale étaient et resteraient sa famille à jamais.

C’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle s’était exilée à Idris ces dernières années. La perte de son dernier descendant avait été un sacré coup dur pour elle, et continuer sa vie à Londres, comme si de rien était, ne lui aurait tout simplement pas été supportable. Elle avait donc accepté la proposition d’Imogène, et les deux femmes avaient partagées leur deuil, tout en essayant de procurer le meilleur enseignement à la génération suivante. « Où t’es-tu rendu ? Tu as dû voir de belles choses ! » Il était clair qu’il en avait certainement vu plus qu’elle qui n’avait pas quittée Londres pendant des générations, et qui revenait à présent à New York, sa ville natale. Et peut-être qu’elle devrait penser à voyager un peu plus, mais vu ce qu’il se passait en ce moment, rien que cette petite fête n’était peut-être pas foncièrement une bonne idée. Malheureusement, personne ne pouvait arrêter les ardeurs de Magnus ! « Je suis arrivée il y a quelques jours seulement. L’Enclave m’a envoyé pour que je puisse apporter mon aide aux Chasseurs d’Ombres. » Et aussi pour les surveiller un peu, mais ça, ce n’était pas franchement quelque chose dont Tessa aimait particulièrement se venter. Même si elle comprenait le geste, elle savait ce que ça faisait de se sentir observer, et elle n’aimait clairement pas ça. Mais elle savait que c’était quelque chose de nécessaire, du moins, dans un premier temps, pour s’assurer qu’aucun Membre du Cercle n’avait infiltré leur rang.

Il est vrai que depuis que la brune est partie vivre à Idris, elle s’était un peu isolée du monde, et avait perdue contact avec plusieurs de ses connaissances. La perte du dernier membre de sa famille n’avait pas été quelque chose de facile à digérer pour elle, qui pensait que la mort de son mari serait la chose la plus horrible qu’elle aurait à affronter. Elle s’était bien trompée. Si à l’époque elle avait encore l’impression de voir William vivre à travers leurs descendants, maintenant, ce n’était clairement plus le cas, vu qu’ils avaient tous disparus. Une chose qu’elle n’avait pas forcément acceptée sur le coup, et qui l’avait poussé dans ses retranchements. Le monde s’était soudain mit à lui faire peur, alors qu’elle l’avait explorée pendant des années, même si tout finissait toujours par la ramener à Londres. Mais ses blessures étaient encore trop profondes, pour l’instant, pour qu’elle ne fasse que songer à y remettre les pieds. C’était déjà un exploit de la voir ici, à New York, la ville où elle avait grandi, et où on lui avait longtemps menti d’ailleurs. Mais c’était là une part de son passé qu’elle avait réussi à mettre de côté. Et puis, ce n’était pas comme si elle avait eu l’occasion de refuser cette proposition qui était surtout un ordre de l’Inquisitrice.

Par contre, elle se doutait bien que son ami ici présent n’avait pas été envoyé par l’Enclave, et qu’il se trouvait ici pour son petit plaisir personnel. Oh bien sûr, elle aurait pu, elle aussi, refuser tout ça, ne plus vivre en compagnie des Chasseurs d’Ombres, sauf qu’elle s’en sentait totalement incapable. Donc elle voyageait un peu à travers les autres et leurs récits. « New York attire beaucoup de monde, surtout en ce moment ! » C’était étrange oui. Tessa serait à la place de la plupart des gens, elle fuirait certainement cette ville à cause de Valentin et du Cercle, mais étrangement, tout le monde restait dans les parages pour elle ne sait quelle raison. De la curiosité ? L’envie de danger ? Elle ne saurait dire. Et elle savait aussi que c’était quelque chose de complètement inutile que d’essayer de convaincre ses connaissances de quitter la ville et de revenir une fois que tout serait réglé. Surtout qu’elle ne savait absolument pas quand tout serait régler. Ça pouvait prendre quelques jours, comme plusieurs années. Ils étaient d’ailleurs déjà sur plusieurs années. Mais la brune espérait juste qu’ils arriveraient bientôt à mette fin à tout ça.

Mais la jolie brune n’était pas contre une petite distraction d’une soirée. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle était de sortie ce soir, et aussi parce que Magnus avait organisé cette soirée pour l’accueillir en bonne et due forme à New York, comme il le faisait toujours. Tessa le connaissait depuis des années, depuis qu’elle était toute jeune et qu’elle découvrait tout juste elle-même qu’elle était en partie sorcière. Magnus était un homme qui l’avait énormément aidé, et qui garderait toujours une place dans son cœur. « Je l’espère. » Et elle ne pouvait pas faire grand-chose d’autre qu’espérer et appliquer ce pourquoi elle était ici. Enfin, elle n’allait clairement pas se plaindre, étant donné que c’était déjà un grand progrès que l’Enclave envoi une Créature Obscure pour les représenter. Même si Tessa ne l’était qu’à moitié, et qu’elle était aussi Nephilim en partie, elle sentait tout de même bien la différence, et cela depuis des décennies. « Avec plaisir ! Enchantée, monsieur Smythe. » Il ne fallait pas oublier que la brune venait d’une autre époque, et qu’elle avait passé une bonne partie de sa vie à Londres. Même si elle n’en avait pas l’accent, elle avait tout de même les manières de vivre d’une londonienne du dix-neuvième siècle. « Oh, je vois, ce n’est pas très récent ! » Vingt ans, à peu près, quand on arrondissait. La sorcière n’arrivait pas tellement à se rendre compte de l’étendue de ces années passées à Alicante. Pour elle, ce n’était qu’un battement de cils. « Oh, il n’oserait jamais lever la voix sur une dame. Mais il a essayé de me faire comprendre que ce n’était pas une chose qui lui plaisait. » En même temps, elle pouvait totalement le comprendre. Si elle aussi s’était décidée à mettre fin à ses jours à la mort de son mari, elle n’aurait pas apprécié que quelqu’un vienne l’en empêcher. Mais elle avait encore ses enfants à l’époque, et c’était pour eux qu’elle avait tenue. Puis pour les enfants de ses enfants, et ainsi de suite.