Une sombre nuit pour une mort sans gloire. Reculant de quelques pas sous l’effet du coup, puis de la douleur, Henri porta une main tremblante à sa blessure à l’estomac. Abasourdi, il leva un regard sur son adversaire, un lieutenant de l’armée du Roi, qui le dévisageait avec tout autant de surprise. L’odeur de la poudre à canon lui brûla les narines, tandis que le soldat tomba le premier, touché en plein cœur.
Il n’était pas un soldat, mais il savait viser… Henri grinça, ses genoux ployant sous son poids, ses doigts relâchant lentement leur emprise sur la crosse de son arme. Il s’obligea à respirer, bien que la douleur remontait insidieusement le long de ses poumons. C’était donc ainsi qu’il allait mourir, au milieu d’un champ de bataille, ne devenant qu’un cadavre parmi déjà tant d’autres. Une grimace s’esquissa sur son visage, jurant entre ses dents, tandis que sa main se resserrait vainement autour de sa plaie qui semblait ne plus avoir de fin. Un brusque rire lui échappa, brisant le silence obscène du massacre dans lequel il se tenait.
« Pourquoi tu ris ? »Un mirage.
Clignant des paupières, Henri secoua la tête devant cette frêle silhouette qui le dévisageait avec curiosité. Elle se dressait au dessus de lui, le surplombant avec une délicatesse et une affection qui lui donna un soudain mouvement de recul. Effrayé.
Il grogna.
« Pourquoi, n’en ai-je pas le droit ? »Sa réponse sembla amuser l’apparition, ses lèvres s’ourlèrent d’un sourire affable. Elle était grande et fine, ses yeux bleuâtres le perçaient de part en part tandis que ses cheveux aux boucles brunes cascadaient sur ses épaules à la peau pâle. Une cape recouvrait son visage, mais ne dissimulait en rien la beauté hypnotisante qui se pencha dans sa direction. Des doigts, froids, glacials, se posèrent lentement sur sa joue, l’obligeant à lever les yeux vers elle.
« Tu es la Mort ? — Certains le pensent. »
Henri laissa échapper un ricanement amer.
« Pourquoi tu ris ? Demanda t-elle à nouveau, penchant légèrement la tête sur le côté. »
Les yeux fixés sur son visage, Henri sentit ce gout à la fois métallique et acide qui envahissait son palais.
« Parce que c’est ironique.— De mourir ? S’étonna t-elle.
— De vivre… Si j’avais su qu’il était aussi facile de mourir, je ne serais jamais né. Un léger rire lui échappa.
— Malheureusement ce n’est pas ton choix. — Malheureusement. »Elle finit par le relâcher et il tomba au sol, s’écrasant sur un corps déjà raide et froid. Peut-être était ce mieux ainsi, peut-être qu’il aurait la chance de revoir sa douce Marie.
« Et si jamais on t’offrait la chance d’une seconde vie, continua t-elle simplement, en s’asseyant à ses côtés, faisant fi de la poussière, du sang et de la boue qui s’y accumulaient.
Que ferais-tu ? »Que ferait-il ? Il esquissa un sourire carnassier, celui qui dévoilant toutes ses dents, celui qui faisait habituellement peur aux enfants du village.
« Je la baiserais, répondit-il dans un chuchotement, le regard se voilant et se perdant sur ce ciel dénué de lune.
La vie. Je prendrais tout ce que je pourrais, je la narguerais et je la dominerais. »Un silence. Elle haussa un sourcil en le dévisageant.
« C’est ambitieux. Il lui répondit d’un rictus.
— Je suis un homme ambitieux. »Lentement, elle secoua la tête avant de se pencher vers lui, posant une main sur l’une de ses épaules.
« Je m’appelle Elise, murmura t-elle à son oreille. »
Henri lui lança une vague œillade, sa joue frôla ses cheveux soyeux tandis qu’il sentait ses lèvres glissés tout contre sa gorge.
« Et j’ai hâte de voir ce que ton ambition va apporter au monde. »Un hurlement franchit brusquement la barrière de sa bouche. Une douleur intolérable le figea, le clouant sur place. Il tenta vainement de se débattre, ses doigts agrippant une mèche brune… Mais le froid se fit plus présent et ses yeux se fermèrent en même temps que les battements de son cœur s’atténuaient.
Boum. Ba-Boum.Une expiration.
Ba… boum…Une dernière inspiration.
…boum… Le silence.
***
« Pardonnez-moi, mon Père, parce que j’ai péché. »Un frisson le parcourut, sensuellement, sensiblement. Perversement. Son souffle se saccada à mesure que les battements de son cœur se substituaient au rythme des tambours obscènes d’une peau claquant contre une autre.
Clac-clac-clac-clac... CLAC !Une musique millénaire dont Henri ne se lasserait jamais. Douce mélodie qui ne faisait que croître le désir, le plaisir, le délire d’une pauvre mortelle soumise à ses perversions. Un rire lui échappa malgré lui, rejetant la tête en arrière, accélérant ses coups de reins, plongeant dans cette chaleur qui l’entourait délicieusement, recherchant cette unité, ce bonheur interdit dont l’Homme ne faisait qu’effleurer de ses doigts décharnés. Elle s’offrait à lui, sciemment, consciencieusement et il n’était qu’un homme, un vampire, parmi tant d’autres.
« Le péché n’est rien dans un monde soumis aux plus sombres instincts de l’Homme. »Ce n’était qu’un murmure, perdu au milieu des gémissements jouissifs et autres soupirs narcotiques qui se répercutaient en échos contre les parois trop froides de l’autel magique. La jeune femme, désormais parfaite marionnette entre ses mains expertes, se pliait sensuellement à chaque pressions trop appuyées, son corps se cambrant contre le sien en une invitation silencieuse. Implicite.
Illicite.
Sa poupée de porcelaine, dont il ne se souvenait déjà plus du prénom, poussa un cri qu’il étouffa de ses lèvres insatiables alors que ses doigts partaient à la découverte de cette silhouette toute en courbe, effleurant les vallées tentatrices dont les pointes le narguèrent ouvertement.
« N’aie crainte, chuchota t-il en se redressant sensiblement, passant une main dominante contre son cou gracile.
Les voix du Seigneur sont impénétrables. »Et il argumenta sa citation d’un coup de rein plus violent, son regard se délectant du plaisir sur le visage de sa damnation. Déjà il ne ressentait plus ce froid glacial de novembre, son corps tout embrassé par les flammes de son Enfer personnel, de son plaisir non-coupable, de sa perversité tout assumée. Elle explosa avant lui, se laissant aller dans un cri final et implacable, ses cuisses autour de sa taille tremblèrent d’une preuve fautive aux yeux de la morale bien pensante.
Un sourire s’esquissa sur ses lèvres avant que la jouissance ne le saisisse à son tour. Brusquement. Brutalement. Le souffle haletant, les paupières fermées, Henri se perdit quelques secondes dans sa béatitude interdite.
Juste quelques secondes. Avant qu’il n’ouvre lentement les yeux, son regard croisant le visage d’un Christ figé de douleur sur sa Croix. Epinglé. Comme Henri à cet instant, qui épinglait cette énième âme sur son autel de dépravation.
Ses parents avaient été de confession juive, ils avaient été une des rares familles parisienne à l’être. Henri avait grandi dans la foi hébraïque, et aujourd’hui plus que jamais, il remerciait ses ancêtres… Il n’y avait rien de plus frustrant que d’être arrêté aux portes d’une Eglise.
Ses pas l’avaient emmené à Rome, capitale italienne, fief d’une des religions les plus importantes de ces derniers siècles. Une mascarade alors qu’il avait traqué, tel un assoiffé, les traces et les pistes jusqu’à ce qu’il convoitait avec obsession. Dix ans qu’il était à sa recherche. Une décennie qui l’avait mené ici même, à s’adonner aux plaisirs de la chair avec une Nonne.
Un frisson le parcouru, tandis que son regard glissait jusqu’à la sacristie ou trônait plusieurs objets aux pierreries des plus précieuses. Une croix gigantesque en or massif incrusté d’émeraudes, néanmoins, il était bien plus intéressé par une coupe. Une simple coupe en bois. Une coupe origine de légendes et de mythes, des chevaliers s’étaient même lancé à sa poursuite.
Et elle était là. Juste à quelques pas.
Henri pressa délicatement ses lèvres contre celles de son amante. Le gout familier du sang envahit son palais, ses doigts se resserrent amoureusement autour de ce cœur qui était sien. Il pouvait encore le sentir palpiter sous sa paume. Il admira une nouvelle fois son visage, ses magnifiques yeux qui le dévisageaient avec stupeur et déception, cette déception faites de trahison. Henri frémit, il du puiser dans ce qu’il avait de force pour tirer d’un coup sec et arracher cet organe chaud qui battait à tout rompre au creux de sa main.
Il lui avait promis son amour éternel.
Les mensonges étaient si faciles à prononcés ; pauvre âme trop croyante. Totalement nu, il relâcha le cœur encore chaud par terre tandis qu’il se dirigea vers son objectif, prenant avec révérence cette coupe qui rejoindrait désormais sa collection.
« L'amour du prochain est attention. Le Graal, pierre miraculeuse qui rassasie toute faim, appartient à quiconque dira le premier au gardien de la pierre, paralysé et souffrant : Homme, quel est ton tourment ? »Un ricanement extatique ne fut que sa réponse, résonnant sombrement dans la chapelle romaine.
***
Tout se devait d’être à sa place. Henri détestait le désordre, cela lui donnait des envies meurtrières. Le désordre ne faisait qu’accroître celui de son esprit instable, ses explosions de colère étaient mémorables et bien souvent cela se terminait dans la douleur et le sang. L’ordre et l’organisation l’aidaient à se recentrer, à se concentrer et à oublier cette petite voix insatiable qui chuchotait inlassablement à ses oreilles :
Encore. J’en veux encore. J’en ai besoin. Plus, toujours plus. Ses doigts, ses longs doigts de pianiste, reposèrent le petit burin aux côtés de ses autres outils de travail. A sa place prédéfinis, s’assurant que son alignement coïncidait avec ses voisines. Sur son comptoir de la poussière, des débris d’or et de diamants, tandis qu’il finissait sculpté sa toute dernière création. Lentement, avec une délicatesse qu’on lui voyait rarement, il leva la pierre au dessus de sa tête, l’approchant devant la lumière vive d’une lampe.
Magnifique.
Elle luisait et brillait sur ses facettes pures et transparentes, parfaites et graciles dans son écrin dorée. Henri l’avait longuement cherché cette pierre, ce diamant de 26 carat aussi époustouflant que la légende qu’elle refermait. Le diamant d’Ankara. Une pierre capable de retrouver son chemin, peu importait ou on se trouvait, ni quand on se trouvait, elle retournait toujours là où son possesseur le désirait.
Une véritable merveille.
Plusieurs acheteurs, des sorciers pour la grande majorité, s’étaient déjà montrés intéresser. Henri laisserait son assistante s’occuper de la transaction, ses employés étaient bien là pour ça, cet aspect de son métier l’intéressant que très peu. Plissant les yeux, tout à ses dernières vérifications, la porte de son atelier s’ouvrit dans un léger bruissement.
« Monsieur. »Une voix hésitante. Henri se figea, sa mâchoire se crispant.
Il haïssait qu’on vienne le déranger ici. Très peu de privilégier, cela revenait à dire personne, avaient l’autorisation de venir dans son antre.
« Eh bien ? Parle. »
Son employé, un vampire, enchaina soudainement, comprenant que cela vaudrait mieux que de le faire attendre.
« Nous l’avons retrouvé. »Un silence. Pesant. Mais Henri était euphorique, il reposa lentement le bracelet.
« Où ?— New-York, monsieur. »Il fit un léger mouvement de tête, lui faisant comprendre qu’il pouvait disposer. New-York. Il n’aimait pas les Etats-Unis, il exécrait ce pays mais si ce qu’il cherchait s’y trouvait… Du pouce il caressa le diamant, dans un mouvement distrait, il avait bien une bijouterie Delattre sur la cinquième avenue. Une parfaite excuse pour y aller sans attiser la curiosité des créatures obscures sur les déplacements du « Collectionneur ».
« La convoitise brûle tout sur son passage, cita t-il dans un chuchotement pensif.
Et la destruction naitra de la passion. »